« Tout ça » débute dans les années vingt. En compagnie d'Alfred. Le grand-père de Claudine et Robert. Sportif. Champion de lutte gréco-romaine. Fondateur de l'OGC Nice en 1904 avec son frère Charles. À l'époque il n'y est question que de lutte, poids et haltères. « Le foot viendra plus tard, sous l'influence du capitaine des pompiers Maria », précise Robert.
Dans le civil, Alfred, ex-apprenti maçon, est portier à l'hôtel Ruhl, sur la Promenade des Anglais. Le patron, Monsieur Martinez décide de créer une plage. En face. « Tu veux t'en occuper ? » lance-t-il au portier. Marché conclu. La gestion des galets est alors sommaire : une pergola, des cabines de part et d'autre. Basta. « Pour avoir un sandwich ou une boisson, il fallait traverser la Prom', en l'occurrence, un chemin, et aller les acheter au bar Le Savoy, ancêtre du Balthazar. Ici, il n'y avait pas de stock. Ni de facture. Juste deux employés... »
Au bout de trois ans, Monsieur Martinez propose à Alfred de reprendre la plage. Ce dernier lui rachète ses parts grâce à l'argent de sa femme. « Ma grand-mère, Carmen, d'origine pied-noire et espagnole, tenait La Cave niçoise, un petit troquet rue Masséna, à l'emplacement de l'actuelle de la Maison de Marie. » Le bistrot est vendu. Les époux mettent 4 ans pour payer l'établissement moyennant 20 000 francs. En 1930, le maire, Jean Médecin, crée la Promenade actuelle. Il fait tout casser, creuser des alvéoles destinées aux futures plages privées. Les Malacarne transfèrent provisoirement leur enseigne à Beau Rivage puis récupèrent leur concession métamorphosée, dans laquelle ils vont vivre jusqu'en 1959 en louant serviettes et planches. Avant que n'arrivent matelas, ski nautique, parasols... La clientèle étrangère raffole de l'endroit. Mais l'azur s'obscurcit. Voilà les boches. Ils réquisitionnent la plage, la transforment en dépôt de munitions, la font exploser en 1945.
La houle de la guerre s'apaise enfin. Alphonse, fils d'Alfred et de Carmen, débarque. Ruhl plage tombe aux mains de la statue du commandeur ! Qui possède également Le Christies, bar américain de la Belle Époque. qui va devenir également, pour le franc symbolique, propriétaire des Bains de la Plage (actuelle Blue Beach), qu'il revend en 56 à la famille Burdin. L'expansion ne s'arrête pas là. Dans les années 60, L'Aquarium, modeste plage voisine, rejoint elle aussi, le patrimoine balnéaire des Malacarne. « Mon père n'avait pas obtenu l'autorisation de mettre des barrières. Il se heurtait au refus du préfet Moatti, car il n'était pas gaulliste, mais médeciniste, se souvient Robert. Cependant, on mettait quand même des matelas et on exploitait la plage. » Plage cédée quelques années plus tard afin de racheter L'Albert's Bar, resto mythique de la piétonne, abritant fauteuils club ainsi qu'un « bar en acajou venant du paquebot France ». Claudine et Robert y accueillent, de 1981 à 1989, une clientèle ultra chic. Aussi plaisante et courtoise que les générations de Niçois et d'étrangers se succédant, à quelques mètres de là, sur l'emblématique plage. Pourtant ravagée totalement en décembre 1959 par un coup de mer digne d'un film d'épouvante. « On a tout refait avec un côté bateau selon les plans de l'architecte niçois Georges Margarita. » Du bois, du cuivre, des pierres, des cordages, de la déco de bon goût, des fauteuils surélevés comme sur un pont, au gré de ces 1500 m2 d'élégance, de professionnalisme, de passion familiale. Une valeur sûre pour les Niçois.
Robert. Aux antipodes de sa sœur. Bien sapé par Albert Goldberg, chapeau à larges bords sur la tête, sourire blagueur permanent. Il est cool Robert. Jusqu'à un certain point. Il sait redresser la barre du vaisseau et a fait de Ruhl Plage, un bijou, invitant l'art hors des batardeaux, imposant l'uniforme marin à son personnel. Lui aussi, charnellement et affectivement attaché à sa plage. À cause des souvenirs d'enfance, du grand-père, de la grand-mère, du père, « qui ont mis tout leur cœur dans la réussite de cette affaire ».
L'affaire, dont la vraie gérante aujourd'hui, est Marie-Jo, l'épouse de Robert. Blonde, les yeux clairs. Le genre de fille qu'on remarque. Une beauté froide. Mère de trois garçons, dont deux déjà bien implantés dans cet égrégore, qu'ils ne veulent pas plagier, mais orienter via leur esprit et leur jeunesse de leur temps.
Fabien, Master II de finance, s'occupe des achats, des congrès, des soirées. « Il a géré la terrible nuit du 14 juillet de main de maître », souligne son père. Très lié à la plage, « mais il mène actuellement une carrière dans la finance ».
Thibault, bac « pro » à Paul-Augier. Excellent contact avec les clients. « Il connaît tout le monde », souffle sa tante avec admiration. Ses projets immédiats : se mettre à l'anglais et travailler dans l'hôtellerie.
Romain, le petit dernier fait sa scolarité à Stan. « Il veut être boulanger. » Pour le moment...